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19/08/2014

Aperçu sur l'idée d'ordre politique dans la philosophie européenne par Jean Galié

Julius Evola, Jean Galié, carl schmitt, Husserl, alain de Benoist, Rébellion

La politique a pour fonction de s’occuper du politique, de la chose politique, c’est-à-dire de ce qui concerne l’ensemble des citoyens ou la vie collective de la cité. Mais dans quel but?

Une réponse classique se tourne vers l’idée de Bien commun. Aussi faut-il retenir cette idée que le Bien est notre but. C’est le Souverain Bien, bon en lui-même, par rapport auquel tous les autres ne sont que moyens. Il est le but de toute activité dans le monde. “N’est-il pas exact que, par rapport à la vie humaine, la connaissance de ce bien a une importance considérable et que, la possédant, comme des archers qui ont sous les yeux le but à atteindre, nous aurons des chances de découvrir ce qu’il convient de faire?” (1)

La recherche de ce bien sera conduite par une science : “science souveraine et au plus haut point organisatrice. Apparemment, c’est la science politique.” (2) Aristote nous plonge au coeur des relations entre la morale et la politique. Selon sa conception eudémoniste, le bonheur est la fin suprême de la vie. Mais comme l’homme est un “animal politique” sa vraie nature ne pourra s’accomplir que dans la cité. Celle-ci est “née en quelque sorte du besoin de vivre, elle existe pour vivre heureuse. C’est pourquoi toute Cité est dans la nature.” (3)

Aristote distingue bien le bonheur de chacun du bonheur de l’ensemble de la vie collective. Le premier s’identifie à l’activité de contemplation dans la mesure où en tant qu’esprit, l’homme pourra cultiver cette partie de l’âme le rapprochant du divin.

Le loisir, période de temps échappant à l’empire de la nécessité et des activités en relation avec celle-ci (travail, économie, etc) s’identifie au bonheur personnel. Néanmoins sa condition de possibilité réside dans le bien de l’Etat. Ce dernier à son tour permet par son existence d’actualiser les capacités et les facultés spirituelles et morales de l’homme. Le but de la politique n’est pas la morale mais de rendre possible l’existence de celle-ci. C’est en ce sens que la morale dépend de la politique et non au sens où cette dernière dicterait les fins de la morale (tentation de la Pensée Unique contemporaine...). Pas plus qu’il ne s’agira de résorber le bonheur individuel dans un hypothétique bonheur collectif. “Même si le bien de l’individu s’identifie avec celui de l’Etat, il paraît bien plus important et plus conforme aux fins véritables de prendre en mains et de sauvegarder le bien de l’Etat. Le bien, certes, est désirable quand il intéresse un individu pris à part ; mais son caractère est plus beau et plus divin quand il s’applique à des Etats entiers.” (4)

Aux antipodes de l’individualisme moderne, c’est en ce sens que s’impose l’idée d’un Bien commun. Mais cette idée, bien que raisonnable pour le sens commun, ne saurait se fonder elle-même. Pour les Anciens, la Nature était l’Ordre du monde, la loi innervant le kosmos, chaque chose tendant naturellement à son épanouissement conformément à cette loi ; ainsi de la nature de l’homme se conformant à l’ordre de la cité. De même, c’est pour cette raison que la “cité est dans la nature”. 

Le politique trouve en réalité son fondement dans la métaphysique, autrement il serait incompréhensible que le politique soit le lien de manifestation des facultés spirituelles de l’homme. “Le fondement premier de l’autorité et du droit des rois et des chefs, ce grâce à quoi ils étaient obéis, craints et vénérés, était essentiellement, dans le monde de la Tradition, leur qualité Transcendante et non uniquement humaine (...) La conception purement politique de l’autorité suprême, l’idée qu’elle a pour fondements la force brutale et la violence, ou bien des qualités naturalistes et séculières, comme l’intelligence, la sagesse, l’habilité, le courage physique, la sollicitude minutieuse pour le bien commun matériel - cette conception fait totalement défaut dans les civilisations Traditionnelles, elle n’apparaît qu’à des époques postérieures et décadentes”. (5)

C’est dans ce contexte de pensée qu’il est possible de lire les doctrines politiques des Anciens dont quelque chose - l’essentiel - se transmettra jusqu’au Moyen-Age, pour lequel le pouvoir temporel était une délégation de l’autorité divine. Pour Platon, par exemple, la politique tend à pérenniser une stabilité quasi ontologique. La science du Politique vise à contenir l’usure exercée par le temps sur tout ce qui est éphémère, et en particulier sur une juste hiérarchie établie dans la Cité et à l’intérieur des diverses instances de l’âme humaine.

Dans son dialogue “le Politique”, Platon rapporte le mythe selon lequel, dans un temps originel - celui de Cronos - toute chose fonctionnait en sens inverse de celui de l’ordre actuel, c’est-à-dire dans le sens originel. Cet ordre s’appliquait aussi bien aux cycles astronomiques qu’aux cycles vitaux,ainsi l’homme rajeunissait tout au long de sa croissance. Le temps de Cronos a laissé place à celui de Zeus qui renverse l’ordre originel pour faire place à un ordre inversé avec lequel nous devons composer, éloignés que nous sommes du temps mythique des origines. L’homme archaïque vit dans un univers protégé dont le sens lui est naturellement acquis. “L’attitude mythique - naturelle comprend d’avance et d’emblée non seulement des hommes et des animaux, et d’autres êtres infra-humains et infra-animaux, mais aussi des êtres surhumains. Le regard qui les englobe comme un tout est un regard politique”. (6)

En d’autres termes, le destin de l’homme y dépend de la manière dont règnent ces puissances mythiques au sein d’un cycle où se perpétue l’éternel retour de la configuration initiale de l’ordre des choses, assurant ainsi un retour perpétuel du même dans un monde qui vieillit jamais, ne subissant pas l’érosion du temps historique (7).

Platon connaît bien la Tradition. Pour lui, la politique consistera à garder son regard porté sur le modèle Transcendant instituant l’ordre de la Cité juste, cette cité idéale décrite dans “La République” obéissant à la loi d’équilibre situant chaque catégorie de citoyens à la place correspondant à ses qualités intrinsèques, du Roi au producteur en passant par le guerrier. Cette loi est l’axe ontologique grâce auquel une telle hiérarchie est rendue légitime, faute de quoi chaque forme de gouvernement sera susceptible de dégénérer, la monarchie régressant en timocratie (gouvernement de l’honneur), celle-ci en oligarchie (petit nombre), cette dernière en démocratie (tous) dont le sort ultime sera la tyrannie. De la perfection à la confusion des pulsions inférieures de l’âme humaine, de la loi à l’informe. “ Spécialement dans les formulations aryennes, l’idée de loi est intimement apparentée à celle de vérité et de réalité, ainsi qu’à la stabilité inhérente “à ce qui est”. Dans les Védas, rta signifie souvent la même chose que dharma et désigne non seulement l’ordre du monde, le monde comme ordre - kosmos -, mais passe à un plan supérieur pour désigner la vérité, le droit, la réalité, son contraire, anrta, s’appliquant à ce qui est faux, mauvais, irréel. Le monde de la loi et, par conséquent, de l’Etat, fut donc l’équivalent du monde de la vérité et de la réalité au sens éminent”. (8)

Pour Platon et ses successeurs au sein de la philosophie politique classique, la science politique a donc pour fonction d’imposer une “forme” métaphysique au chaos toujours possible et resurgissant, en incarnant une idée de stabilité et de justice propre à l’ordre traditionnel qui avait trouvé son expression initiale dans le système des castes dont l’homme moderne ne peut saisir le sens et la portée spirituels. Tel a été l’univers mental indo-aryen, et dont Georges Dumézil a longuement déchiffré les structures idéologiques. Ainsi chez Platon ordre et hiérarchie sociale reflètent-ils un ordre et une hiérarchie internes à l’âme humaine. Les ordres de citoyens correspondent à des puissances de l’âme et à certaines vertus. Aux chefs de la cité, les magistrats, archontes correspondent l’esprit, noûs et la tête ; aux guerriers l’animus et la poitrine ; aux producteurs, la faculté de désir, partie concupiscible de l’âme et la partie inférieure du corps, sexe et nourriture.

Les castes, les catégories de citoyens, les ordres définissaient des modes typiques d’être et d’agir, de la matérialité à la spiritualité. Platon s’était donné pour objectif politique d’instituer par l’éducation un plan de sélection des élites capable de conduire la Cité. Tel homme appartient à telle catégorie de citoyens non pas à cause de conditions arbitraires mais parce que le caractère de son âme - décelé par les magistrats ou les éducateurs - le destine à remplir telle ou telle fonction, selon la symbolique de l’âme au caractère d’or, à celle d’argent, d’airain ou de fer, dans un ordre de valeur décroissant ; de la capacité de commandement éclairé à celle de fidélité d’exécution.

Que reste-t-il de ce bel édifice conceptuel et métaphysique dans la pensée politique moderne?

Peu de choses, depuis que Machiavel (1469-1527) a rompu avec la philosophie politique classique, dont celle du Moyen-Age qui pensait le politique en se référant à Saint Augustin pour qui la “cité terrestre” se distinguait, tout en la reflétant, de la “cité céleste”. Dans les conditions d’existence, marquées du sceau du péché originel, l’Etat se devait d’être le soutien et le glaive de l’autorité spirituelle. Cela n’allant d’ailleurs pas de soi, puisque dans les faits - querelle des Guelfes et des Gibelins - il s’agissait de savoir qui de l’Empereur ou du Pape incarnait au mieux cette idée d’autorité spirituelle, cette dernière ne devant pas se dégrader en simple pouvoir temporel.

Machiavel, lui, a desacralisé la politique, il en fait un simple instrument humain, profane, elle n’est plus ordonnée à une fin supérieure, transcendante. La question est de savoir comment prendre le pouvoir et le conserver. L’essentiel est la stabilité de l’Etat, ce qui est une redondance puisque “Lo Stato” est ce qui tient debout.

En soi, l’homme de pouvoir, le Prince n’est pas immoral, mais il doit savoir mener les hommes et jouer des circonstances. Se faire “renard” ou “lion” selon le cas où primera la ruse ou la force, se faire tour à tour aimer et craindre, sachant qu’il n’est pas totalement maître de

l’histoire puisque celle-ci pour moitié peut se laisser guider par sa “virtù”, puissance et virtuosité, et pour autre moitié est “fortuna”, à l’image du fleuve impétueux dont on ne peut arrêter le cours mais seulement l’endiguer.

En ce sens la grande découverte de Machiavel est que la politique est un artifice. Telle est l’essence de la conception moderne de la politique, qui, historiquement verra toujours subsister à ses côtés la conception classique, et se développera selon cet axe de l’artifice pensé rationnellement, par un calcul, et dont les théories du contrat seront très largement tributaires.

Dès lors, l’ordre politique est essentiellement humain, dérivé de l’accord, du pacte d’obéissance qu’un peuple passe avec son Souverain. L’autorité de ce dernier n’est plus réputée être naturelle, ainsi chez ces libellistes appelés monarchomaques au 16ème siècle, contestant l’autorité du Roi. Souvent protestants - parfois catholiques - ils justifient leur rébellion en rejetant un ordre politique jugé comme étant illégitime.

C’est dans ce contexte que sera pensé le concept de Souveraineté et discutée la question de la légitimité de l’institution politique. Si l’idée de Souveraineté existe depuis l’Antiquité puisqu’elle est inhérente à toute forme d’exercice du commandement politique, la conceptualisation qu’en fait Jean Bodin (1520-1596) sera reprise dans la philosophie politique moderne.

Dans les “Six livres de la République” il la définit comme “puissance absolue et perpétuelle d’une république”. C’est ainsi qu’une nation se constitue en Etat, s’identifie à celui-ci. La Souveraineté devient puissance absolue fondant la République, c’est son âme même. Le lien unissant un peuple à son gouvernement réside dans la loi, le Souverain fait les lois, la puissance de gouverner s’identifie au pouvoir de légiférer. De ce fait le prince sera au-dessus des lois, idée reprise ultérieurement au 17ème siècle par Hobbes pour qui le Souverain ne saurait être soumis à la loi. Si le Souverain ne peut plus être fondé par le recours immédiat à la transcendance, il est néanmoins resacralisé sous une forme profane dans la figure de la souveraineté absolue de l’Etat : “tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés” (Carl Schmitt).

L’autre volet de la discussion repose sur la théorie du contrat. Ce dernier s’enracine dans la doctrine du droit naturel. Envisagé du point de vue de la légitimité des fondements de l’Etat, comme artifice produit par l’homme, le droit naturel est conçu soit comme droit de la force, soit comme droit idéal.

Le première conception est représentée par Hobbes et Spinoza. A l’état de nature - fiction idéologique - règne un droit de nature défini “par le désir et la puissance” (Spinoza), comme étant “le droit de chaque homme de faire ou de posséder tout ce qui lui plaît” (Hobbes). Rien n’y est injuste ou juste avant l’établissement de la loi civile. Pour Hobbes, l’état d’insécurité résultant de l’exercice du droit naturel (“guerre de chacun contre chacun”) pousse l’homme, par une loi naturelle inhérente à l’être de raison qu’il est, à faire un calcul afin de quitter cette situation. Ce sont les termes du contrat, du pacte qui fait disparaître cette situation arbitraire (analogue à la guerre civile, ou au désordre régnant à l’intérieur de certains Etats...) afin d’établir un Etat rationnel.

L’idée d’un droit naturel “idéal” est représentée par l’Ecole du droit naturel au 17ème siècle. Elle a servi de base à ce qu’on a appelé Droit des Gens. Ainsi le philosophe et juriste hollandais Grotius (1583-1645) dit que le droit naturel émane de la nature sociale de l’homme : c’est d’elle que la raison humaine, observant les diverses pratiques, dégage les principes d’un droit universel, immuable. Il est distinct du choix volontaire, arbitraire.

Il peut cependant être rattaché au droit divin “puisque la divinité a voulu que de tels principes existassent en nous” (Grotius). Cependant, cette distinction atteste un passage de l’ordre de la Providence à celui de l’humanité. C’est un droit rationnel. Cette doctrine peut aboutir sur une vision individualiste - Locke pense que les hommes à l’état de nature sont libres, égaux, éclairés par la raison, peuvent donc respecter les préceptes du droit naturel ; l’organisation politique n’étant nécessaire que pour préserver les prérogatives naturelles de l’homme (liberté, égalité, propriété), vision anarcho-libérale - ou bien sur un humanisme rationnel (Kant) pour lequel la raison triomphe à travers une légalité propre à régir les peuples libres, car le droit est la notion se dégageant des conditions dans lesquelles la faculté d’agir d’autrui d’après une “loi universelle de liberté”. Kant défendra grâce à cette théorie, l’idée problématique d’une Société des Nations à partir d’un point de vue cosmopolitique.

Poussée à l’extrême la thèse d’un droit naturel idéal débouche sur la conception d’un idéal de justice existant au-dessus du droit positif. “Il existe un Droit universel et immuable, source de toutes les législations positives, il n’est que la raison naturelle en tant qu’elle gouverne les hommes” (Avant-projet du Code Civil de l’An VIII). Le droit naturel a pour but la protection de ces droits imprescriptibles qui sont, aux termes de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 : liberté, propriété, sûreté et résistance à l’oppression.

Mais que dire si le Droit universel s’incarne adéquatement dans la loi positive, si ce n’est celui qui dispose de la puissance inhérente à cette loi. Cette théorie se traduit en particulier dans ce que Carl Schmitt appelle l’Etat législateur. “L’Etat législateur, à cause de la rigueur de son système de légalité, ne peut pas admettre la coexistence de plusieurs sources de droit, comme en droit romain, les lois, les plébiscites, les sénatus consultes ou les constitutions impériales, les édits de magistrats, les réponses des “prudents”, etc” (9)

Cet universalisme abstrait n’est pas sans dangers, et Carl Schmitt de nous mettre en garde : “Si la notion de loi perd un jour toute relation interne avec la raison et la justice et qu’on conserve néanmoins l’Etat législateur avec son sens propre de la légalité, qui concentre dans la loi tout ce qu’il y a de supérieur et de respectable dans l’Etat, - à ce moment-là, n’importe quelle ordonnance, commandement ou mesure..., n’importe quelle instruction à un juge pourra devenir, grâce à une décision du Parlement ou d’une autre instance préposée à l’élaboration des lois, légal et conforme au droit en vertu de la souveraineté de la loi. Le formalisme poussé à l’extrême finit par (...) abandonner ses relations avec l’Etat de droit”. (10)

Ainsi la fameuse “indépendance” des juges ne masque-t-elle pas son contraire, une hégémonie idéologique instrumentalisant le formalisme de la loi? “On suppose qu’en vertu des liens semblables qui rattachent tous les citoyens à un même peuple, tous doivent être, en raison de ces traits communs, essentiellement semblables les uns aux autres. Or, que cette hypothèse, supposant une harmonie nationale parfaite, vienne à disparaître, on verra immédiatement le pur “fonctionnalisme” sans objet et sans contenu, résultant des données de la majorité arithmétique, exclure toute neutralité et toute objectivité.” (11)

Ainsi l’idéologie actuelle de la “citoyenneté” suffit-elle à définir un peuple, à dégager ces “traits communs”, à établir “l’harmonie nationale”? Un simple contrat, formel suffit-il à fonder une identité? Celle-ci n’a t-elle pas été forgée au cours de notre histoire? De là l’amnésie dont les mondialistes veulent frapper tous les peuples et en particulier le nôtre. Avons-nous oublié que les morts gouvernent les vivants (Auguste Comte)? De nos jours, au nom de la loi, il est possible d’éradiquer toute forme d’opposition à “l’Avenir radieux” que nous promet le Nouvel “Ordre” Mondial.

Dans ces conditions le peuple est devenu une notion abstraite, le citoyen n’est plus enraciné au sein d’une identité singulière qui pourrait être vécue à divers niveaux (occitan, français, européen, par exemple).

En France resurgit le débat sur les identités locales, régionales, nationales, avec une remise en question du centralisme jacobin et la discussion sur la question de la Souveraineté. S’il est évident que dans le camp SRE nous ne voulons pas d’une Europe élaborée par les mondialistes, Europe de carton-pâte aux antipodes d’une Europe de la puissance, le débat est plus nuancé en fonction des diverses sensibilités et des stratégies proposées en l’occurrence. De même le débat est faussé sur le plan sémantique lorsqu’il est présenté sous la forme de la dichotomie entre “souverainistes” et “non souverainistes”.

Si l’on n’est pas souverain c’est que l’on est sous la dépendance de quelqu’un d’autre, que l’on existe plus en tant qu’entité politique! Certes, c’est le rêve des mondialistes, mais il est possible de concevoir - grâce au principe de subsidiarité bien appliqué en corrélation avec les forces vives du pays - un emboîtement de divers étages de souveraineté.

A l’opposé de la théorie libérale qui décourage la participation du peuple à la vie publique et qui rejette toute initiative allant à l’encontre des normes juridiques et constitutionnelles du moment, a été formulée une autre conception par Johannes Althusius (1557-1638) adversaire de J.Bodin en philosophie politique. (12)

Le philosophe allemand revient à Aristote, à sa conception de l’homme comme être social, enclin à la solidarité et à la réciprocité. Dans une démarche de type symbiotique, Althusius affirme que la société est première par rapport à ses membres, et se constitue par une série de pactes politiques, sociaux, conclus successivement de la base au sommet, par associations (“consociations”) naturelles, publiques, privées telles que familles, guildes, corporations, cités, provinces, etc. Modèle d’emboîtements allant du simple au complexe. Les individus sont membres de diverses communautés successives et il n’y a pas de contrat entre le souverain qui est le peuple et le prince qui se borne à administrer. Le contrat social est une alliance, communication symbiotique des individus définis par leur appartenance. Il est formé entre les communautés restreintes qui se fédèrent pour former un corps politique plus vaste et un Etat. Le peuple peut déléguer sa souveraineté mais ne s’en dessaisit jamais. Cela permet un respect des identités particulières, dont on rappellera qu’elles n’étaient point admises par Rousseau dans “Du contrat social” (“Il importe donc, pour avoir bien l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’Etat, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui”. Livre II, Chapitre III), et qu’elles furent réellement abolies durant la célèbre nuit du 4 août 1789 et empêchées de se constituer par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791 interdisant toute forme d’association entre gens d’un même métier et toute coalition.

Dans le système d’Althusius chaque niveau tire sa légitimité et sa capacité d’action du respect de l’autonomie des niveaux inférieurs, le principe de souveraineté est subordonné au consentement associatif, celle-ci est répartie à des niveaux différents de la vie politique.La clef de voûte du système est le principe de subsidiarité par lequel les décisions sont prises au niveau le plus bas possible grâce à des unités politiques ayant des compétences autonomes substantielles, et en étant représentées collectivement aux niveaux de pouvoir supérieurs. Le niveau local ne délègue au niveau supérieur que les tâches et responsabilités qu’il ne peut accomplir, telles que par exemple les fonctions régaliennes de l’Etat. La Nation serait donc une communauté de communautés.

Encore ne faudrait-il pas interpréter cette idée dans les termes du “communautarisme” véritable juxtaposition de communautés linguistiques, ethniques, religieuses ou autres qui n’auraient en commun qu’une proximité d’ordre géographique et de destin commun que la simple survie économique.

En dernier lieu la question d’un ordre politique et social se résume au fait de savoir qui détient la puissance et pour quoi faire. Aussi un peuple ne doit-il pas ignorer qui il est, quelle est sa nature profonde, quelles sont ses attaches essentielles. Ces thèmes fondamentaux ne sauraient être écartés par l’idéologie éradicatrice des Droits de l’Homme qui désubstantialise tout ce qu’elle touche (13).

Il n’y a rien en effet de plus libre, et de plus facile à promouvoir sur le plan idéologique qu’une forme vide. Il est bien plus difficile de résister à ce courant homogénéisant du mondialisme et de nommer l’identité à laquelle nous devons nous référer pour être nous-mêmes. 

Pour autant face au chaos actuel, à la véritable entropie générée par le système mondialiste, notre peuple ne pourra faire l’impasse sur ce choix décisif.

Delenda est Carthago!

Jean Galié

NOTES :

(1) Aristote : Ethique à Nicomaque. Livre I.

(2) idem.

(3) Aristote. Politique

(4) Aristote. Ethique à Nicomaque. Livre I.

(5) Julius Evola. Révolte contre le monde moderne. Editions L’Age d’Homme p.41-42.

(6) Husserl. La crise des sciences européennes en la phénoménologie transcendantale. p.364.

(7) Cf Le mythe de l’éternel retour (Mircea Eliade).

(8) Julius Evola. Révolte contre le monde moderne. p.61.

(9) Carl Schmitt. Du politique. “Légalité et légitimité” et autres essais. p.53. Editions Pardès.

(10) idem p.54.

(11) idem p.60. 

(12) Lire à ce sujet l’excellente contribution à ce débat dans le n°96 - novembre 1999, de la revue “Elements”, à laquelle nous empruntons ces informations.

(13) Ainsi, par exemple, la doctrine Monroe conçue sur la base de l’espace concret, transformée par Theodore Roosevelt en principe impérialiste commercial devenant un principe universaliste s’étendant à la Terre entière, et conduisant à l’ingérence de tous en tout. “Alors que, dans l’idée d’espace, il y a celle de limiter et de répartir l’intervention donc un principe de droit et d’ordre, la prétention universaliste à l’ingérence mondiale abolit toute limitation et toute distinction raisonnables” Carl Schmitt. Ouvrage cité, p.127-28. “Le fait que la doctrine de Monroe ait ainsi pu être trahie et transformée en un principe impérialiste commercial demeurera, pour longtemps, un exemple bouleversant de l’effet que peuvent produire des slogans vides” Carl Schmitt, idem p.129.

28/06/2014

Gangs of New York : Martin Scorcese réfute Guillaume Faye…

Un article du numéro 2 ( mai 2003) de la revue Rébellion qui reste d'actualité ... 

Des échos positifs étant parvenus à nos oreilles sur le dernier film de M. Scorcese, nous avons vu sa dernière œuvre. Nous savions par ces critiques, que celle-ci montrait les solidarités ethniques, le problème de l’immigration irlandaise au milieu du 19 ème siècles à New York. À côté de ses qualités artistiques que nous laissons aux cinéphiles le soin d’analyser, nous avons surtout été marqués par la portée historique, sociale et politique de ce film. En effet, la corrélation entre le capitalisme et l’immigration y est clairement montrée. Une leçon pour ceux qui, comme Guillaume Faye, ne voient de l’immigration extra-européenne qu’une offensive de l’Islam (1) et ignorent ou minimisent le rôle du capital en la matière. On nous rétorquera qu’il s’agit d’une comparaison anachronique puisque le film de Scorcese évoque l’immigration massive de catholiques irlandais au 19 éme. Même s’il y a évidemment des différences majeures avec l’immigration subie par l’Europe actuellement, nous pensons qu’existe un fil conducteur menant d’une situation à l’autre. L’œuvre de Scorcese a ici une portée générale et c’est en ce sens qu’elle est particulièrement réussie.

Évoquons d’abord les différences. D’un côté une immigration européenne – mais pas uniquement, dans le film apparaît la communauté chinoise – d’un autre côté , de nos jours, une immigration largement musulmane, mais là aussi pas uniquement, avec une relative présence de réseaux islamistes, hétérogènes d’ailleurs. Par ailleurs, les Etats-Unis formés par diverses vagues d’immigrants devenus colonisateurs peuplant un large territoire en comparaison avec une civilisation européenne millénaire subissant le choc d’une migration de vaste ampleur venant de tous les pays pauvres économiquement.

L’Europe n’a pas à être bouleversée dans son identité par une immigration massive

Nous affirmons que l’Europe n’a pas à être bouleversée dans son identité par une immigration massive, pas plus que les peuples migrants n’ont à perdre leurs identités en abandonnant leurs aires de civilisations ; ce qui nous amène à la question du capitalisme.

Nous ne cessons pas de le répéter, seul le capitalisme est un système qui a déraciné universellement les peuples pour les nécessités de son marché (besoin variable de main-d’œuvre et effondrement des structures sociales traditionnelles). Les migrations plus anciennes étaient moins importantes quantitativement et le plus souvent s’étalaient sur de très longues périodes pour aboutir en général à des recompositions de civilisations, soit en se fondant dans le creuset culturel des peuples subissant la poussée migratoire, soit en créant une nouvelle stabilité sociale et civilisationnelle recouvrant l’ancienne strate culturelle.

L’utilisation de la démocratie par le capital

Le capitalisme, lui, est producteur de chaos et d’anomie, il fait perdre toute identité, tout repère, en corrompent les identités subsistantes en les transformant en phénomènes de bandes qu’il manipule. « Gangs of New York"  est à cet égard, très significatif car on y voit s’affronter avec violence le gang des « natifs » (eux-mêmes immigrés un ou deux siècles plus tôt) s’opposait au gang des Irlandais récemment débarqués à New York. La bourgeoisie, quant à elle, joue sur les deux tableaux, utilisant tour à tour les miséreux des deux bords. Elle favorise le gang des « natifs »  pour faire régner une apparence d’ordre et de hiérarchie au sein du quartier mal famé de Five Points en utilisant les ressorts du banditisme et de la corruption, tout en se réjouissant de l’arrivée quotidienne des navires bondés d’irlandais prêts à tout pour subsister et qu’elle enrôlera massivement dans l’armée nordiste lors de la guerre de Sécession. Symbolique est la scène où l’on voit des Irlandais sur les quais du port de New York recevant immédiatement des papiers de citoyens américains pour repartir aussitôt, vêtus de leur uniforme, sur un autre navire où on leur promet trois repas par jour, vers la boucherie de la guerre contre les confédérés. Cela ne rappelle t il pas la composition de l’armée US, récemment, en Irak ? L’utilisation de la démocratie par le capital est aussi clairement montrée dans le film. Ainsi les misérables irlandais sont invités à participer à la farce électorale en votant pour un des leurs, lorsque leur nombre et le renouveau de leur identité font qu’ils deviennent une clientèle intéressante pour les politiciens du système. Faut-il faire un dessin pour transposer la situation de nos jours dans la grande civilisation des droits de l’Homme ? Et puisque nous évoquons cette dernière idéologie, comme aux thuriféraires de droite et de gauche du système, on le voit poindre dans la situation historique de l’époque de la guerre de Sécession où de faméliques prolétaires sont envoyés au casse-pipe au nom de la libération des esclaves noirs des états sudistes, par la bourgeoisie industrielle qui est bien indifférente à la condition sociale des immigrés européens et qui vise à la domination sur tout le territoire des Etats-Unis en détruisant le système patriarcal sudiste, et « libéra » les esclaves noirs pour en faire des prolétaires peuplant les ghettos des grandes villes. Analogie avec notre époque et à une autre échelle ?

Le fonctionnement du capitalisme

La violence est omniprésente dans « Gangs of New York ». D’après Faye, la violence, l’insécurité sont des phénomènes liés à l’immigration en Europe ; une violence qui ne serait qu’une offensive conscience, organisée de la part des immigrés contre l’Europe. S’il ne s’agit pas de nier l’existence de pathologies sociales accompagnant l’immigration vers notre continent, il est vain de généraliser en faisant de ce facteur l’explication de tous nos maux. Sur notre continent même, la misère engendrée par le capitalisme a toujours été accompagnée de phénomènes de violence et de criminalisation. Simplement ceux-ci étaient sanctionnés de manière beaucoup plus sévère (le débat sur crimes et sanctions était beaucoup plus vaste par ailleurs). Autre intérêt de cette œuvre cinématographique : le spectateur peut comprendre le fonctionnement du capitalisme quasiment à l’état pur, c’est-à-dire dans un pays n’ayant pas de structures anciennes à supplanter (les Indiens, eux, ont été génocidés). Le triomphe de l’économie sur la dimension sociale, c’est la guerre, le banditisme à tous les étages du corps social, l’arbitraire, le mensonge, la corruption et l’individu prolétarisé ou sous-prolétarisé livré à la loi de la jungle du marché. Les partis politiques n’y sont que des bandes organisées plus ou moins influentes, sous-traitant parfois leurs services de basse besogne. Actuel, actuel !

Au bas de l’échelle, les « gangs » se disputent une part de territoire, d’économie parallèle et se fortifient en adoptant une identité symbolique forte. Les « natifs » du film de Scorese s’accrochent à l’histoire et à la dignité de la nation américaine, les Irlandais à leurs racines culturelles, religieuses. La dimension ethnique s’exacerbe même ; lors de l’émeute gigantesque menée par les pauvres de New York contre la conscription, les responsables politiques bourgeois sont visés, mais aussi quelques noirs sont lynchés, rendus responsables de la conscription parce que la libération des esclaves noirs était la justification, la mystification idéologico-morale avancée par les capitalistes. Donc, à ceux qui pour défendre l’identité européenne font appel à une xénophobie rudimentaire, nous disons que ce n’est pas cela que défendre la cause des peuples, pas plus d’ailleurs que de participer à l’idéologie antiraciste défendue par les officines du capitalisme mondialiste. L’immigration des prolétaires européens dont nous avons parlée n’est elle pas aussi tragique que la traite des esclaves africains ? N’y a-t-il pas eu autant de souffrance en l’occurrence ? Donc, nous ne nous associerons pas aux jérémiades droits de l’hommistes : guerre au capital et à ses amis camouflés (alter mondialistes de tous poils) !

La scène finale du film est également fort éloquente. Pendant que l ‘émeute se déploie dans New York, les deux gangs rivaux sont sur le point de s’étriper. Des canonnières apparaissent alors dans les eaux baignant la cité et bombardent les quartiers pauvres de la ville envoyant des milliers de malheureux ad patres. Force reste à la bourgeoisie…

Le seul chemin qui nous paraît être efficace

Conclusion : lorsque la société est synonyme de chaos, de crise, les tensions entre groupes, communautés, bandes diverses s’exacerbent. Des identités collectives réelles ou fictives légitimes ou manipulées et créees de toutes pièces s’affrontent (voir le Proche-Orient, l’Irlande du Nord, les Balkans…). Le capital, lui, prospère. Son mode d’être n’est pas la stabilité, la prospérité des peuples, mais la subversion permanente de tout ce qu’il approche. Par conséquent, il n’y a pas de « plan » islamique de colonisation de l’Europe selon la théorie de G. Faye. Il y a une immigration inhérente au triomphe de la forme capital actuellement sur la planète, avec parfois une instrumentalisation consciente des immigrés de la part de forces mondialistes voulant la destruction des pays encore homogènes qui contrarient tel ou tel de leurs projets et parfois un appel de main d’œuvre corvéable, à basse rémunération (voir l’appel récent du patronat irlandais réclamant des Africains !). Pour favoriser ce chamboulement universel les bourgeois apprennent aux immigrés qu’ils doivent se venger des méchants Européens et aux Européens qu’ils doivent se soumettre à toutes les vexations et battre leurs coulpes jusqu'à la fin des temps. Pendant ce temps-là, le prolétariat européen qui avait accouché d’une critique radicale du capitalisme ne pense plus au socialisme authentique, celui qui consisterait à prendre enfin sa vie en main en rejetant la démocratie capitaliste représentative. Enfin, une guerre civile ethnique d’où resurgirait une Europe forte – toujours selon la théorie de Faye – est une illusion. Il peut y avoir des affrontements ethniques au sein du chaos économique et social généré par le capital. Mais cela, ce n’est pas la solution anticapitaliste. Le seul chemin qui nous paraît être efficace c’est la pratique de la théorie socialiste révolutionnaire. Par tous les moyens tentons d’imposer la prise de conscience des impasses de la mondialisation capitaliste et de son opposition fictive qu’est l’alter mondialisme.

 Jean Galié 

02/03/2013

Entretien de Rébellion avec Que Faire ?

 

La revue Rébellion a fêté ses 10 ans ! Une décennie de combat contre le système sous toutes ses formes. L’occasion pour QUE FAIRE d'interroger l'équipe qui pilote le journal...

QUE FAIRE : Actuellement, Rébellion c'est une équipe de combien de rédacteurs ? D'abonnés ? De lecteurs ?

Louis Alexandre : En 10 ans, nous n'avons pas chômé. L'équipe de rédaction est constituée de quelques camarades présents depuis l'origine qui assurent bénévolement les indispensables tâches militantes permettant à Rébellion de poursuivre sa lutte.

Sans cette équipe, le journal n'existerait pas. Peu de personnes savent la masse de travail que représentent la rédaction et la collecte des articles, la maquette, la gestion de l'impression et de la diffusion, le secrétariat d'une revue.

Mais je pense que cet engagement est payant. Pas de manière vulgairement matérielle, mais par le simple fait qu'il nous tire vers le haut. Il nous fait dépasser joyeusement nos limites dans une aventure qui est un pied de nez aux bien-pensants. Tout donner pour une cause, sans rien attendre, apprend l'humilité, la persévérance et le courage. Tout cela avec le sourire et en ne se privant jamais de rire …

Nous avons conservé l'esprit d'origine dans le fonctionnement de la rédaction. C'est-à-dire que les articles issus du travail des membres de la rédaction restent collectifs et anonymes, selon le principe de « l'impersonnalité » de l'action et de la réflexion qui nous est cher.

Nous avons aussi ouvert nos colonnes à des «compagnons de route» comme les talentueux Thibault Isabel, David L'Epée, Charles Robin, Michel Thibault, Arnaud Bordes et à un certain Terouga que vous connaissez peut-être à «Que faire ?». Ils ont profondément enrichi notre revue.

En conservant notre indépendance, nous sommes parvenus à faire progresser notre diffusion. A l'heure actuelle, nous en sommes à plusieurs centaines de numéros vendus à chaque livraison et notre lectorat est vraiment très riche. Ce résultat, nous le devons surtout à une communication ciblée et à l'existence récente de nouveaux réseaux de diffusion «dissidents» (comme les sites Kontre Kulture et Scriptoblog/le Retour aux Sources ou des médias comme Méridien Zéro).

Nous avons lancé une vaste campagne d'abonnement pour nos dix ans. C'est notre priorité à l'heure actuelle, car c'est la seule garantie pour nous, de poursuivre notre développement. Pour donner un chiffre, nous sommes presque parvenus à rassembler les 150 abonnés de plus que nous nous étions fixé d'atteindre en septembre.

 

QUE FAIRE : Il y a dix ans, quels étaient les objectifs de la revue ? Vous avez obtenu quelles réussites ? Quels échecs ?

Jean Galié : L'objectif que nous poursuivons était clairement énoncé dès la parution de nos premiers numéros. Il s'agissait de faire de la revue un noyau théorique solide afin d'impulser une dynamique de regroupement des intelligences et des volontés autour de l'objectif de la critique radicale, sans concessions, de la domination du capital.

Cela devait se faire en-dehors des organisations politiques existantes dans lesquelles nous ne nous reconnaissions pas. Autant faire l'effort, pensions-nous, de produire notre propre théorie critique plutôt que de suivre des formations à propos desquelles nous aurions nourri des doutes ou de la méfiance. Il ne faut pas nécessairement désirer se relier à quelque chose pour s'illusionner et se rassurer ; évidemment cette voie est plus difficile. Nous reprenions l'idée de Lénine, en la transposant et l'aménageant dans un nouveau contexte, selon laquelle un journal peut devenir une référence en attendant la constitution d'un pôle politique plus structuré et militant. `

L'histoire ne nous a pas donné tort si l'on veut bien considérer le fait que depuis cette date, la crise du système s'est approfondie et que les diverses organisations politiques existantes ne font que tourner en rond et répéter des recettes surannées. Par ailleurs, on voit bien que le prolétariat n'adhère pas massivement à celles-ci malgré son mécontentement profond. Quant aux groupes plus marginaux qui annoncaient qu'ils allaient tout bouleverser, ils ne furent qu'un feu de paille à la hauteur d'engouements éphémères.

En conséquence, il ne nous semble pas nous être égarés. La pérennité de la parution régulière de la revue est déjà une réussite puisqu'elle témoigne de l'existence d'un lectorat régulier et/ou se renouvelant. Le fait que des esprits intelligents tiennent compte de ce que nous écrivons et collaborent plus ou moins régulièrement à notre travail est également un indice positif.

Quant aux échecs, sans vouloir nous dédouaner de nos imperfections, ce qui est le plus important réside dans le fait que comme l'écrivait Hegel, on ne peut être mieux que son temps mais au mieux son temps. Il est douloureux de le constater, mais la majorité des exploités reste comme frappée de stupeur, encore trop amorphe face aux attaques incessantes qu'elle subit de la part d'une classe dominante hyper-active dans la poursuite de ses intérêts.

Dans ces conditions, il est difficile d'impulser une orientation vers une lutte réelle et frontale contre les conditions sociales existantes en intervenant au sein des luttes sociales. Ne serait-ce que diffuser une simple revue relève de l'exploit lorsqu'on ne dispose pas de relais médiatiques. En un sens, ce phénomène prouve que nous ne participons pas du spectacle marchand contemporain. Nous ne voulons pas accéder à une notoriété spectaculaire, pour autant nous ne répugnons pas à rendre publiques nos idées, nous y travaillons modestement.


QUE FAIRE : Avec la revue il y a l'Organisation Socialiste Révolutionnaire Européenne, l'organisation s'est-elle développée aussi ?

Louis Alexandre : L'OSRE est un chantier en construction permanente. Nous sommes une petite équipe et nos moyens ne peuvent malheureusement pas se démultiplier. Nous sommes donc réalistes et axons notre travail sur des campagnes ciblées (comme notre lutte contre le capital et l'Otan en Europe par exemple) et nous cherchons à nous implanter durablement sur plusieurs villes (comme Toulouse, Nice ou Paris par exemple) .

Dès lors, l'OSRE est un «squelette» qui sert à structurer notre réseau. Son nom résume son rôle, une organisation pour renforcer les luttes menées pour le SRE.


QUE FAIRE : Quelles relations avez-vous avec les autres "opposants" au système ? Extrême droite ? Extrême gauche ?

Jean Galié : Les relations avec d'autres organisations dépendent du fait de leur réelle opposition au "système". Nous pouvons sur tel ou tel point important collaborer à une campagne allant dans le sens d'une dénonciation de l'offensive du capital (l'anti-impérialisme, par exemple). Pour nous, le critère déterminant est celui de l'authentique dénonciation de la pratique et de l'idéologie du capitalisme. Il y a aussi des échanges de presse pour ceux qui sont intéressés par nos travaux.

Pour ce qui concerne la question des deux "extrêmes" que vous évoquez, elle devrait être traitée selon les mêmes critères mais nous tenons à préciser que cette classification nous paraît obscure et relever plutôt d'une simplification outrancière générée par les besoins idéologiques du système. La grille de lecture couramment utilisée à cet effet relève plus du fonctionnement du moulin à vent (paroles du verbalisme ambiant) confusionniste que d'une approche rationnelle du phénomène. Ce qui est essentiel reste à nos yeux, le combat pour la création de la communauté humaine libérée des chaînes du travail salarié et du capital. Disons qu'à cet égard, existent au sein du manège entretenu par la classe dominante, une gauche et une droite avec leurs extrêmes... du capital.


QUE FAIRE : Souhaitez-vous des changements dans la revue ? Dans la forme ? Dans le fond ?

Louis Alexandre : Même si Rébellion est aujourd'hui une revue de qualité reconnue, nous ne nous reposons pas sur nos lauriers. Nous savons que nous devons suivre les évolutions des nouvelles technologies et être à l'affut de nouveaux terrains de diffusion.

Nous avons toujours à l'esprit d'améliorer la qualité et la lisibilité de la revue. Il apparaît aussi important de définir une ligne claire et compréhensible pour remporter l'adhésion d'un plus large public. Nous avons entrepris voici dix ans un important travail de renouveau idéologique qui est arrivé à sa pleine maturité. Il nous faut donc le diffuser et le rendre porteur sur le terrain.

Il reste une multitude de thèmes que nous souhaitons aborder d'un point de vue nouveau. Rébellion vous (et nous) réserve encore des surprises.


QUE FAIRE : Quels retours avez-vous de votre lectorat ? Y a-t-il des déceptions ? Des révélations ? Des malentendus ?

Louis Alexandre : c'est justement l'objet d'une large enquête que nous avons lancée voici un mois. Notre revue avait besoin de mieux connaître ses «nouveaux lecteurs» et leurs attentes. Nous sommes en train de dépouiller les premiers retours actuellement. Nous rendrons compte en détail de cela dans les pages du bulletin interne de notre structure, «Rébellion-infos».

Mais déjà nous pouvons dire que les retours sont positifs et encourageants. Nous assistons à un important renouvellement de nos lecteurs et à l'apparition d'un esprit particulier parmi son lectorat.

Dire que la presse est en crise est une erreur. C'est la presse du système aux idées creuses qui meurt, mais aussi les publications «dissidentes» enfermées dans leurs visions sclérosées qui tournent en rond. Il y a un loi darwinienne en matière politique, «seuls les meilleurs survivent et propérent». Une revue qui ose et qui innove aura de l'audience. Rébellion fait pour sa part le pari de faire confiance à ses lecteurs pour porter son message révolutionnaire au plus grand nombre.

Jean Galié : Les malentendus - lorsqu'ils ne sont pas intéressés, télécommandés - peuvent toujours exister. Ils relèvent, nous semble-t-il, de la difficulté que certains ont de lire ce qui est réllement écrit et non ce qu'ils s'imaginent que nous écrivons. C'est un symptôme de l'atténuation voire de la disparition contemporaine de la pensée critique capable de s'élever au-dessus de l'apparence mensongère de la réalité aliénée. Il y a recul de la capacité à conceptualiser et pour critiquer il faut aussi être capable de dialoguer. Heureusement, il arrive également que nous ayons été bien lus et compris ; parfois cela laisse apparaître de réelles convergences d'analyse. Cela prouve que notre démarche n'est pas vaine.


Source : http://quefaire.e-monsite.com

 

19/04/2012

Entretien de Jean Galié au site Corsica Patria Nostra

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Membre de la rédaction de la rédaction de la revue Rébellion, Jean Galié présente les idées du courant SRE à l'équipe du site Corsica Patria Nostra .

"Pourriez vous pour commencer nous présenter brièvement à nos lecteurs ce que sont  l' Organisation Socialiste Révolutionnaire Européenne et la revue Rébellion ?

L'OSRE est de création plus récente que celle de la revue Rébellion. Il s'est agi de prolonger les objectifs que nous nous étions fixés initialement pour celle-ci. En effet la revue bimestrielle a été pensée dès le départ comme pôle de cristallisation militante autour d'une réflexion en devenir concernant la revendication d'un socialisme que nous ne pensions pas mort comme l'affirmait l'idéologie dominante profitant de la chute du Mur de Berlin, et qui croyait qu'il en était désormais terminé du socialisme révolutionnaire, qu'il suffisait d'admettre l'existence d'une sociale-démocratie participant accessoirement aux affaires du capitalisme. Pour nous, au contraire, la situation témoignait d'un épisode, certes de poids, de la victoire momentanée du capital dans la lutte de classe. La situation internationale des années 90 a vite montré quels étaient les objectifs impérialistes atteints (guerre des Balkans, guerres du Golfe, etc) alors que parallèlement des attaques massives contre les conditions d'existence des travailleurs étaient menées. Les années 2000 confirmèrent cette analyse que nous allions exposer dans le revue. A partir de là, sans précipitation, après quelques années, il nous parut opportun d'accompagner cette démarche par la mise en piste d'une structure d'intervention plus directement politique qui n'en est qu'à ses débuts ; nous ne sommes pas des excités spontanéistes. Comme nous ne nous reconnaissions dans aucune structure existante, nous pensâmes qu'il valait mieux consacrer notre temps à défendre nos propres mots d'ordre et analyses, même si par ailleurs, nous sommes prêts à discuter avec d'autres groupes ou formations pouvant être sur la même longueur d'ondes à propos de tel ou tel sujet. Nous ne transigeons pas sur l'essentiel : la critique du capital conduite par le mouvement ouvrier depuis ses origines et que nous essayons de prolonger.

Par ailleurs, dans la revue nous laissons parfois s'exprimer des personnes ne partageant pas nécessairement toutes nos positions mais dont la réflexion nous semble être pertinente. Vous remarquerez que certains textes sont signés, d'autres non. Pour notre part, nous nous en tenons à une revendication collective, au nom de la revue, de ce qui est écrit. C'est pour cette raison que ces textes ne portent pas de signature.

Quelle est votre manière de militer et quels sont vos buts, à court et long termes ? ( point de vu militantisme )

Le militantisme ne doit pas être erratique mais constituer un engagement sur la longue durée. Les conditions historiques ne sont guère encourageantes parfois dans un monde où prévalent l'individualisme et un certain isolement pour celui qui n'adhère pas aux valeurs dominantes. En conséquence, il faut déjà mentalement prendre ses distances envers ces dernières et essayer de mettre ses actes en conformité avec ce que l'on pense. Pour autant, il ne s'agit pas de faire preuve de volontarisme exacerbé, de spontanéisme irréfléchi ; on ne peut se substituer au courant historique avec toutes ses pesanteurs à remettre en question. La fabulation individuelle ou entretenue en groupe ne remplace pas l'activité révolutionnaire que peut engager la classe ouvrière. Il faut rester réaliste et agir à son échelle. Pour nous, il était important de maintenir l'existence de notre revue et de l'améliorer sous tous rapports. Notre sérieux a relativement payé sur ce plan. Voilà une réalisation militante. Par ailleurs, d'autres modes d'intervention et d'autres supports sont utilisés (les plus traditionnels) par l'OSRE. Nous n'avons pas une confiance illimitée à l'égard d'Internet, bien que nous l'utilisiions. Pour beaucoup de nos contemporains, cela reste un substitut virtuel à l'action concrète. Bien entendu nous ne possédons pas la panacée universelle pour transformer le monde.

Dans votre manifeste, vous déclarez vouloir sortir de la " Technocratie Européenne" pour construire une autre Europe. Quelle vision avez vous de cette Europe ?

 Considérations géopolitiques et lutte pour le socialisme sont au coeur de notre vision de l'Europe. Il faut obligatoirement relier les deux sous peine de dire rapidement des fadaises. Nous sommes à l'époque du combat pour la naissance et la consolidation d'un monde multipolaire, ce que ne peut souffrir la dynamique du capital. Il ne s'agit pas de faire bloc contre bloc capitaliste (impérialisme) mais de créer un monde viable. Un monde authentiquement multipolaire ne peut être issu que de la sortie du capitalisme. Ce dernier n'est porteur que de la tendance à la réalisation despotique de la Forme Capital. Les interventions impérialistes actuelles, un peu partout dans le monde, sous couvert d'ingérence humanitaire le prouvent amplement. Lutter contre celles-ci - et, d'ores et déjà, à partir de la critique de la politique atlantiste de la France - est le point de départ de notre intervention. Il faut corrélativement montrer que le capitalisme n'est point réformable, qu'il faut en finir avec celui-ci. S'il est possible de prôner un retour à la souveraineté nationale à l'intérieur de chaque pays européen afin de sortir du carcan de l'Europe technocratique, il ne faut pas oublier le contexte international. Les nations européennes devraient former une puissance alternative à l'impérialisme atlanto-sioniste. Alors, le combat pour le socialisme, respectueux des particularités nationales s'avère incontournable. Les ressources multiples existant sur le continent européen - et si on veut bien prolonger par une vision eurasiste (alliances souhaitables avec la puissance russe et ses alliés d'Asie centrale) - permettent d'envisager une réalisation socialiste à l'échelle continentale. Le capitalisme dans le monde ne s'éteindra pas comme par enchantement, la lutte de classe a une portée internationale et internationaliste (à distinguer du cosmopolitisme favorisant la vision unipolaire).

Vous revendiquez un socialisme véritable. Mais beaucoup d' organisations politiques d' obédiences différentes s' en revendiquent aussi. Quels points vous séparent ?

Pour une réponse substantielle, nous vous renvoyons à la lecture de notre livre "Rébellion. l'alternative socialiste révolutionnaire européenne", aux éditions Alexipharmaque. Nous ne faisons que prolonger à l'époque contemporaine, ce qui a germé et s'est épanoui au sein du mouvement ouvrier révolutionnaire. Cela implique bien évidemment des critiques, des remises en question, le traitement de questions ayant été peu ou pas abordées initialement mais l'idée fondamentale est la même : mettre fin à la domination de la valorisation du capital, ce qui a pour corollaire la disparition des classes sociales et la réappropriation par l'humanité de son activité existentielle, in fine libérer la vie des contingences économiques engendrées par une activité aliénée (salariat). C'est pour ces raisons que nous ne sommes proches de pas grand monde parmi ceux qui, sans vergogne, osent se réclamer du socialisme alors qu'ils ne constituent que des fractions de l'appareil idéologique et politique du capitalisme. Nous ne présentons pas de dispositif utopique décrivant la société future, ce qu'attendent naïvement certains. La société sera ce que les hommes en feront en partant de leurs conditions d'existence, et celles-ci sont diverses en fonction de conditions matérielles et idéologiques à tel moment donné. C'est pour cela que le socialisme, s'il signifie bien un saut vers la généricité (une conscientisation du genre humain maître de sa praxis) ne peut se traduire par une uniformisation des conditions d'existence (cosmopolitisme, monde unipolaire) mais bien par un épanouissement du multiple sans fragmentation du genre humain. L'erreur, à doite comme à gauche (notions périmées depuis longtemps) est de confondre communisme avec despotisme unificateur ; c'est une parodie de la généricité humaine (indifférenciation généralisée des qualités humaines, adéquate à l'univers de la marchandise).

Que pensez vous du nationalisme Corse et la vision de Yann Fouéré de l' Europe aux cents drapeaux ?

 Tout d'abord, avouons notre relative méconnaissance de l'histoire du nationalisme corse ; nous sommes donc mal placés pour vous donner une réponse très précise sur ce point. Néanmoins la référence à Fouéré nous permet de nous prononcer sur un aspect de la question, mais qui ne nous paraît pas être le plus mineur. "La division de l'humanité en ethnies est antérieure à la division du travail et donc à l'existence des classes" écrivait le militant occitan François Fontan ; il appelait de ses voeux une nouvelle anthropologie, précisant que "les races ne forment plus de groupes humains concrets, mais se sont mélangées pour former des ethnies. [...] Les races n'ont d'importance qu'au travers des ethnies, par les langues et les civilisations qu'elles influencent." Marx quant à lui; voyait dans le facteur racial, une détermination de force productive, au sens large de capacité à produire et reproduire ses conditions d'existence. On voit donc que le problème est complexe, recouvrant des strates anciennes de l'histoire de l'humanité que la pensée unique actuelle voudrait éradiquer. Face au rouleau compresseur de la modernité, des revendications identitaires se sont élevées, prenant parfois l'apparence de l'autonomisme ou de l'indépendantisme nationaliste. L'idée d'une Europe aux cents drapeaux ne nous paraît pas ridicule eu égard à la préservation de la richesse culturelle de notre continent, à sa diversité. Seulement, il faut éviter de poser le problème in abstracto, intemporellement. Les Etats européens n'ont pas tous la même histoire, certains furent plus centralisateurs que d'autres (la France en particulier), d'autres à la structure plus souple comme l'Empire austro-hongrois ont néanmoins éclaté pour des raisons précises, laissant la place au développement de nationalismes en partie discutables. Voir le cas complexe de la Yougoslavie également et son agonie sous les coups de butoir de l'impérialisme atlantiste, récemment. Concrètement, dans la situation actuelle, nous nourrissons une extrême méfiance envers la politique européiste bruxelloise qui en favorisant un certain régionalisme fait un travail de sape au profit des forces capitalistes internationales contre la souveraineté des nations constituées. Ces dernières pourraient constituer un obstacle à la globalisation capitaliste.

En France, les mouvements indépendantistes des peuples basque, corse etc. nous semblent avoir peu de chances d'aboutir en tant que tels. Si tel était le cas, dans les conditions actuelles, cela signifierait l'expression de la déliquescence de la nation française à son stade terminal dans un contexte de chaos produit par le système capitaliste. Donc rien de bon pour quelque peuple que ce soit! La solution souhaitable devrait donc être d'articuler le combat pour le socialisme à son enracinement dans une conscience, une mémoire historique populaire. Ne jamais se laisser instrumentaliser par les forces du chaos capitaliste (nous parlions ci-dessus de la tragédie balkanique et de l'exacerbation de micro-nationalismes au profit de la machine otanesque). Un socialisme sur le bon chemin n'a rien à craindre de la vivification de l'enracinement culturel, il s'en nourrit dans une perspective non muséale et non utopiquement conservatoire.

Merci aux camarades de Corsica Patria Nostra